Maisons CÔTÉ SUD hors-série cuisine n°8 - juillet 2001

L’huile d’argan
une douce inconnue

Il existe sur terre un trésor méconnu : l’huile d’argan, la plus rare du monde.
Fille du dernier arbre au sud avant le Sahara, sa majesté l’arganier régnant seulement au Maroc, et d’un savoir-faire ancestral détenu par les femmes Berbères du Souss.
Arbre à huile et arbre de vie, cette rareté botanique est source de vertus naturelles d’exception.
Aujourd’hui, elle gagne ses lettres de noblesse auprès des plus grands chefs grâce à Argania qui la produit dans les règles de l’art.
Entrez dans le monde millénaire et mystérieux de l’huile d’argan.

Maisons CÔTÉ SUD hors-série cuisine n°8 - juillet 2001Reportage Monique Duveau. Photos François Goudier. Texte Sabine Bouvet.

“Zit argane !” cette petite phrase-là, vous l’aurez sans doute entendue au bord des routes dans le sud atlantique Marocain, en vous demandant ce que peuvent bien contenir ces bouteilles brandies par le marchand-berger à l’ombre des arganiers, qui d’un œil, surveille ses chèvres en équilibre précaire sur les branches épineuses et, de l’autre, guette le passage d’une voiture. Zit argane, c’est l’huile d’argan. Un mystérieux liquide pour nous autres Européens, peuples de l’huile d’olive.
Plus tard, au cours de votre voyage, vous apprendrez que c’est une affaire de femmes. C’est elles q’il faut aller voir dans les villages reculés de la vallée de Tafraoute pour s’en procurer. Les chercheurs d’argan poursuivront donc leur chemin vers le berceau de cette culture, là où coule l’huile, avec en tête leur petite phrase ” fin zit argane ” : où est l’huile d’argan ? Et inch Allah ! … Dans la vallée des Ammeln, au détour d’un oued traçant une coulée de verdure épaisse de fraîcheur et encaissée entre les immenses parois rouges saturées de chaleur, la rencontre se fera avec les femmes et leur générosité. Dans la coutume Berbère, on reçoit le visiteur avec tous les honneurs, c’est à dire avec du miel et… de l’huile d’argan. Pour vous, une femme ira chercher dans sa réserve un peu de cette denrée rare, réservée depuis toujours à la consommation familiale, et vous l’offrira dans un vieux pot de confitures récupéré. Vous repartirez avec votre cadeau comme un trésor, sachant toute sa valeur.

Il y a quelques années, Fatimine Kydjian et Franck Chauveau Bodère découvraient l’arganeraie et cette huile vierge inconnue du monde gastronomique. Eux aussi ont suivi le parcours du voyageur avide de découvertes. Mais ils n’en sont pas restés là, retournant parcourir les pentes des Atlas pour nouer de multiples contacts. Car il leur fallait aller au-delà : donner à ce “produit extraordinaire” venu de la nuit des temps la valeur qu’il mérite, le révéler au monde entier et accorder enfin aux femmes la reconnaissance de leur savoir-faire unique.
Une mission endossée avec ferveur par Fatimine et Franck, qui voient là un trésor menacé. Il en va de la dignité d’un peuple et de sa culture, le peuple Berbère de l’arganeraie.

Fatimine et Franck fondent alors Argania, la Maison de l’Arganier, avec son unité de production. Dans un véritable esprit de partenariat, ils rétribuent les femmes à la juste valeur de cette longue tâche : il ne faut pas moins de douze heures et 100 kg de fruits pour obtenir un litre d’huile. Fatimine ne croit pas, quant à elle, aux tentatives des coopératives de femmes créées dans la foulée, leur reprochant de fixer “un salaire ridiculement bas et de dispenser à titre de compensation des cours d’alphabétisation dont les populations n’ont que faire pour survivre au quotidien.
Ce n’est pas ça qui les aidera à manger tous les jours. De plus, certaines coopératives mécanisent l’extraction de l’huile et les autres se contentent de la collecter d’un village à l’autre. Avec ces méthodes, elles n’obtiennent que des huiles de coupage et de piêtre qualité organoleptique.” Dans un souci d’éthique, Argania entreprend de faire du commerce équitable pour répondre aux besoins des populations en améliorant directement leur sort : “Pour la première fois, les femmes vivent uniquement de leur travail et font vivre leur famille. Plus besoin de déserter les villages pour la ville. Elles continuent à extraire l’huile manuellement et non mécaniquement comme dans la plupart des coopératives.”  La tradition est perpétuée, leur savoir-faire respecté dans un souci de qualité sans précédent et leur travail valorisé.

Cette aventure a commencé par un coup de foudre pour une espèce botanique, Argania Spinosa, et son fruit, la noix sauvage renfermant une ou plusieurs amandes oléagineuses, source d’huile vierge après expression manuelle. Dernier rempart contre le désert et la pauvreté, cet arbre à huile ou arbre de vie est une providence pour les populations Berbères. Faisant preuve d’une incroyable opiniâtreté face à un sol pauvre qui découragerait les plus tenaces végétaux, il force le respect et l’admiration. Et ce majestueux survivant de l’ère tertiaire est inconnu du reste de la planète : il pousse seulement dans le sud Marocain. Patrimoine unique et presque indestructible… si la main de l’homme ne vient pas mettre fin à sa longévité séculaire, il sera parvenu jusqu’à nous en fournisseur exclusif de bienfaits naturels :
“C’était le seul produit gras disponible pendant des millénaires”, précise Fatimine.
Riche en qualités biologiques, l’huile affiche un profil en matière d’acides gras essentiels défiant toute concurrence, même celle de l’huile d’olive, avec des taux impressionnants d’acide Linoléïque et de vitamine E, excellente pour la peau.
Tout naturellement, elle occupe une place de choix dans l’alimentation traditionnelle et s’inscrit au rang des secrets de beauté ancestraux. Tel un élixir de jouvence, les femmes l’appliquent sur leur corps et leurs cheveux – un peu comme les Tahitiennes font avec le monoï – et en enduisent les nouveau-nés.
Les scientifiques multiplient les études diététiques et les laboratoires cosmétiques se pâment devant cette pure merveille. Et il y a de quoi, car elle est issue d’un long processus artisanal aux étapes délicates : cueillette des noix, séchage, concassage, tri des amandons dépulpés, qui seront torréfiés, broyés à la meule, jusqu’à obtention d’une pâte malaxée à la main avec de l’eau dans un tian d’où jaillit l’huile.

De cet amandon d’une amertume épouvantable, naît une huile douce, soyeuse, sensuelle, à l’indicible saveur de noisette ou d’amande grillée.
Un trésor servi sur un plateau par Franck et Fatimine aux plus grands chefs ébahis.
La surprise est divine et la révélation immense pour ces palais rompus à toutes les dégustations, qui voient s’ouvrir les portes d’un nouveau monde culinaire. “Ils croyaient avoir fait le tour de tout et les voilà étonnés par notre huile sortie de derrière les montagnes, là-bas”, s’enthousiasme Fatimine. Leurs papilles expertes s’en délectent, lui tressent des couronnes et la propulsent dans le cercle très fermé des produits de luxe que recèle la nature.
De Michel del Burgo (chez Taillevent) en passant par Pierre Gagnaire, Frédéric Anton (Le Pré Catelan), Dominique Bouchet (les Ambassadeurs), ou Alain Soliveres (Les Élysées du Vernet) jusqu’à Philippe Schmit (Orsay, à New York, emblème du chic Français outre-Atlantique) et bien d’autres encore, ils ont tous l’huile d’argan à la bouche… et en cuisine. Et Guy Martin, du Grand Véfour, envouté comme
ses confrères, d’évoquer ainsi son puissant effet : “un trait d’huile d’argan et vous voyagez dans les oasis.”
Difficile de refuser une telle invitation !

Share This

Share this post with your friends!